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mercredi 13 mai 2015

Aspect de la guerre au Pays de St-Vith


ASPECTS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE AU PAYS DE SAINT-VITH [1]                                                                                                                              



Par le plus grand des hasards, j’ai reçu dernièrement deux livres qui devaient terminer leur vie active dans une déchetterie…

Il s’agit de deux exemplaires des «Cahiers d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale » publiés par le «Centre de Recherche et d’Etudes Historiques de la Seconde Guerre Mondiale»

Dans le cahier n°7 (1982), j’ai trouvé cet article de Kurt FAGNOUL que je me suis permis de scanner et de vous proposer via ce Blog. 
Depuis, d’autres découvertes historiques sont apparues au grand jour (comme les 3 bombardements de Malmedy par exemple) et complètent ce que l'on savait en 1982, mais l’esprit de ce récit me semble bien refléter la situation vécue par les habitants des Cantons avant, et après, cette guerre. Guerre qui commença en fanfare pour les plus jeunes mais qui, comme dans toutes les guerres, y a fait tant de ravages. C'est particulièrement vrai pour la ville de St-Vith qui fut complètement "rasée" de la carte lors du jour de Noël 1944 (tout comme Malmedy, bombardée par trois fois par l'aviation américaine, alors que l'armée américaine était seule à l'occuper). 
St-Vith fut la position stratégique la plus disputée (et la plus importante) de la Bataille des Ardennes mais l'Histoire (un peu détournée...) n'a retenu que la resistance héroïque de la 101° Airborne à Bastogne.

Apres avoir scanné cet ouvrage, je me suis mis à la recherche d’autres cahiers sur internet et, à ma très grande surprise, j’ai découvert qu’il était possible d’en télécharger pas mal en utilisant ce lien :

Pour en découvrir d’autres il suffit de remplacer le 5 par 7 (par exemple).

(Si vous téléchargez le n° 7 :vous y découvrirez les illustrations proposées par K. Fagnoul pages 195 à 202)

La liste des cahiers sont disponibles sur ce site :
http://pallas.cegesoma.be/pls/opac/opac.search?lan=F&senu=30380

Vous verrez, dans le récit de Kurt Fagnoul, qu'il se réfère à une étude sur la répartition des votes par partis-politique (reference 30). Il y apparait les votes accordés à Rex. Cela m'a un peu interpellé car je n'avais jamais imaginé que Rex avait eu une quelconque influence dans les Cantons de l'Est mais uniquement à Bruxelles et en Wallonie. J'ai trouvé dans cette même série (Cahiers d'Histoire de la 2nde Guerre Mondiale) un article traitant de la liaison entre Rex et les autorités allemandes qui me semble assez intéressant à consulter:
http://www.cegesoma.be/docs/media/Cahiers_Bijdragen_CHSGM/Cahiers_5.pdf

Cela se trouve repris entre la page 173 à la page 220 (175 à 222 du fichier pdf).

Bonne lecture !


Kurt Fagnoul

Un territoire frontalier est toujours un pays déchiré : les uns s'y sentent dans leur patrie, les autres penchent par leurs modes de pensée et pratiques quotidiennes vers le pays voisin. Cette constatation délimite exactement notre sujet.
Pendant six cents ans, le pays de Saint-Vith fut rattaché à Luxembourg.

Quand éclata la Révolution Française et que Saint-Vith fut impliqué dans ses désordres militaires, la Convention décréta le 1er octobre 1795, l'annexion des Pays-Bas autrichiens, de la principauté de Liège ainsi que de la principauté abbatiale de Stavelot Malmédy.
Stavelot Malmédy ainsi que Saint-Vith, fief luxembourgeois, et Eupen s'intégrèrent au département de l'Ourthe dont la majeure partie était constituée par l'évêché de Liège. Malmédy devint le siège de l'arrondissement de Malmédy auquel appartenaient Eupen et Saint-Vith.

Pour la première fois, Saint-Vith constitua ainsi une entité administrative avec Eupen et Malmédy.
Au congrès de Vienne de 1815, Eupen et Saint-Vith ainsi que la moitié orientale de l'ancien domaine abbatial de Stavelot Malmédy échurent à la Prusse. Jusqu'à l'année 1919, Eupen Malmédy Saint-Vith appartint à l'arrondissement d'Aix-la-Chapelle, donc à l'empire allemand.

Les guerres patriotiques appelaient les hommes sous les drapeaux, et les vétérans se rassemblèrent au sein du « St. Vither Kriegsverein 1888 » dont le drapeau repose aujourd'hui, après avoir connu bien des avatars, au Musée Populaire de Saint-Vith Z.V.S.

Les guerres de 1866 et 1870-1871 s'étaient terminées victorieusement pour la Prusse et leur souvenir était exaltant.
Mais quand la première guerre mondiale s'acheva par la défaite allemande, la plupart des anciens combattants se sentirent trahis par la Patrie.

Le Traité de Versailles assombrit encore plus les esprits : Eupen, Malmédy, Saint-Vith furent octroyés à la Belgique.

Le 22 octobre 1919, le lieutenant-général Baltia était nommé Haut Commissaire et Gouverneur d'Eupen-Malmédy-Saint-Vith ([2]) . La cession de ces territoires fut réglée par un référendum populaire qui entra dans l'histoire sous le nom de « petite farce belge ».

L'annexion d'Eupen-Malmédy-Saint-Vith à la Belgique ouvrit une période de combat qui culminera en 1940. La population se divisa en deux camps et, avec les années, le fossé s'approfondit entre les deux communautés ([3]) . Les journaux régionaux d'alors n'acceptèrent pas unanimement l'annexion : ainsi le Malmédy-Saint-Vither Volkszeitung, édité à Saint-Vith par Hermann Doepgen. A Eupen existaient l'Eupener Nachrichten et l'Eupener Zeitung; en langue allemande paraissait encore le Landbote ([4]) .

Des raisons stratégiques et militaires avaient également présidé à l'annexion. Déjà pendant la guerre, on avait plaidé pour une frontière orientale de la Belgique militairement plus efficace ([5]) . Parmi les porte-paroles de cette exigence figuraient beaucoup de Français ainsi que des Belges : Des Ombiaux, Wallez, Zwendelaar ([6]) ; d'autres demeuraient dans l'anonymat. La Haute Fagne jouait un rôle essentiel dans ces considérations stratégiques. Qui détenait le Haut-Plateau des Fagnes pouvait atteindre avec une facilité extraordinaire la ville impériale d'Aix, blottie au fond de la vallée. 

Désormais, avec son nouveau tracé, la frontière belge se situait à moins de 3 km du centre d'Aix, à près de 10 km de Stolberg et à quelque 15 km seulement de la zone industrielle d'Eschweiler.

L'annexion suscita cependant des protestations en Belgique même. Beaucoup traitèrent le référendum de comédie, de cancer pour les relations germano-belges. Cela conduisit, vers la fin de 1924, à ce que d'influents milieux industriels belges prennent l'initiative d'entretiens sur la restitution. Le franc belge était alors ébranlé. Eupen-Malmédy-Saint-Vith aurait constitué une contribution allemande à la stabilisation des valeurs belges pour prix du montant des marks émis en Belgique pendant la guerre.

Pour la restitution de la partie wallonne d'Eupen-Malmédy-Saint-Vith, on cita le chiffre de 150 millions de dollars ([7]). Les négociations entre Stresemann et le gouvernement belge durèrent jusqu'en 1926. Elles constituaient pour les Français une inquiétante préoccupation. Ils liaient la question avec celle de l'Alsace-Lorraine et, de plus, la France voulait être défendue depuis le Haut-Plateau des Fagnes ([8]). Finalement on fit savoir à Stresemann que le remboursement des marks constituait partie intégrante des réparations et ne nécessitait donc aucune contrepartie.

Ces négociations étaient suivies avec passion dans la région et la presse locale dans son ensemble ne fit pas faute d'exprimer son désappointement. Le 4 juin 1927 parut pour la première fois le Grenz Echo, comme contrepoids aux cinq journaux germanophones locaux, tous hostiles à la Belgique. Une violente polémique de presse se déclencha alors ([9]). Elle était menée principalement d'Allemagne, contre le Grenz Echo. Ainsi naquit en 1927 également un Echo aus Malmedy-Monschau, édité par les associations réunies des originaires d'Eupen-Malmédy-Monjoie. La direction était assurée par un natif de Wirtzfeld ([10] ).

Les efforts pour le retour à la mère-patrie ne cessèrent pas. Ainsi le conseiller de gouvernement Franz Thedick fut désigné comme chargé d'affaires impérial pour Eupen-Malmédy au sein du gouvernement à Cologne. Il était doté de multiples compétences. Ainsi, il lui revenait de trouver et sélectionner à Eupen-Malmédy des hommes capables de mener l'action pour le retour. Il s'occupait également de la répartition et l'affectation des subsides allemands ([11]).

A Eupen-Malmédy-Saint-Vith s'étaient constituées, sous couverture culturelle, des organisations qui combattaient le régime belge et luttaient pour le retour au Reich. La plus forte de ces organisations était le “Heimattreue Front” (littéralement : Front fidèle à la Patrie) constitué en 1935 ([12]). Il était issu du Parti Populaire Chrétien qui remportait jusqu'alors le plus grand nombre de suffrages et que présidait le Malmédien Josef Dehottay.

En avril 1933 déjà, ce dernier avait sollicité une audience auprès de Hitler. Il ne fut exaucé qu'en septembre et reçut des nouvelles directives pour sa politique nationaliste ([13])
Pour faire face au mouvement de retour au Reich, la Belgique avait voté en 1934 une législation permettant le retrait de nationalité. Ainsi Dehottay fut-il déchu de sa nationalité belge et expulsé au début de 1936. Devenu par ce fait la figure symbolique du patriotisme allemand d'Eupen Malmédy-Saint-Vith, Dehottay ne fut cependant plus reçu par Hitler, en raison de sa personnalité contestée ([14]).

Quand, après le référendum de 1935, la Sarre fit retour à l'Allemagne, la joie et l'espoir culminèrent chez les partisans de l'Allemagne. On chantait, parfois ouvertement en public, l'hymne de la Sarre dont le texte avait été modifié : « La Sarre est allemande, au tour d'Eupen-Malmédy ! » (Deutsch ist die Saar, Eupen-Malmédy kommt nach !) ([15]) .

A la nouvelle année 1935, l'association de gymnastique de Bütgenbach, organisa comme de coutume, une représentation suivie de bal. Les organisateurs avaient toujours obtenu pour cette occasion la prolongation de l'heure de fermeture. Mais comme les autorités étaient persuadées que l'association n'était également qu'une couverture pour le mouvement nationaliste, l'autorisation fut cette fois refusée.

A minuit tapant, les gendarmes firent irruption dans la salle et sommèrent l'assistance de quitter les lieux. Cette provocation suscita naturellement de vigoureuses protestations. On conseilla aux jeunes de ne pas céder à la provocation, mais sans réussir complètement à éviter des échauffourées. Le jour suivant, des arrestations furent opérées au milieu d'un grand déploiement de gendarmes. L'un des jeunes gens s'enfuit, passa la frontière... et ne revint chez lui qu'en 1940. Cet événement, qui entra dans l'histoire comme le procès de la Saint-Sylvestre, apporta de l'eau au moulin des nationalistes qui y gagnèrent de nouvelles sympathies ([16]).

Le 7 mars 1936, Hitler réoccupa la Rhénanie. Alors qu'il s'agissait clairement d'une rupture du Traité de Versailles, ni la France ni les autres signataires n'entreprirent rien qui pût stopper les projets expansionnistes du dictateur. La seule mesure militaire prise par la France fut un renforcement plus ou moins inutile de la ligne Maginot. Cette réoccupation de la Rhénanie eut comme conséquence de conforter le “Heimattreue Front”  dans ses efforts pour le rattachement au Grand Reich allemand. La presse salua le pas franchi.

La transgression du Traité par Hitler fut dépeinte comme une étape historique dans l'affermissement de la paix en Europe : « Ceci n'est pas une menace pour la paix mais bien un acte de paix, car celle-ci ne peut naître que de l'égalité de droits » put-on lire dans la presse locale.

On tentait de rendre l'affaire anodine, d'en atténuer le danger : « Aucun Belge n'a été troublé dans son sommeil ; de plus nul ne peut surenchérir à l'offre du Führer pour 25 ans de paix ». Le « Grenz-Echo » par contre ne variait pas de son cours et écrivait : « Ce qui s'est passé aujourd'hui avec l'entrée de l'armée allemande en Rhénanie, n'est qu'un dernier pas au bout d'une longue route » ([17]). En clair, il avertissait : le prochain pas c'est la guerre. La population accorda une grande attention à l'événement. Il fut fêté, non seulement dans les rues mais au sein des familles. L'on voyait déjà en pensée les soldats allemands qui avaient franchi le Rhin pénétrer dans la région de Malmédy.

A Saint-Vith, tout le monde était dans la rue, des croix gammées étaient partout visibles, des inscriptions « Heil Hitler » figuraient sur de multiples murs. A Eupen par exemple, se déroula un lâcher de ballons munis de cartes avec la mention : « Eupen-Malmédy désire le retour à cette Patrie ». La jeunesse se montrait enthousiaste et hissait des drapeaux à croix gammée.

Pendant que la population pro-allemande témoignait ainsi de son approbation et de son enthousiasme national, les Wallons affichaient gravité et préoccupation. Bien que dans les milieux politiques, on se fût attendu à cet acte de Hitler, le caractère « prématuré » de l'action avait douloureusement surpris.

Quand il devint clair que les Occidentaux ne répondaient à Hitler que par des paroles, l'espoir nourri par la population germanophone d'un retour au Reich fut réaffirmé à haute voix ([18]).
L'invasion de la province rhénane aurait dû être le signal pour l'ouverture de nouvelles négociations. 
Le 24 août 1936, le service militaire obligatoire de deux ans fut instauré ([19]). Il ne fallait plus être prophète pour comprendre les signes du temps. Le gouvernement allemand justifia cette mesure par la politique délibérée d'encerclement menée par la France à l'encontre de l'Allemagne ! (le pacte franco-russe).

Beaucoup d'habitants de Saint-Vith avaient des parents du côté allemand. Ils furent ainsi informés fort tôt et confidentiellement des changements intervenus dans le Reich.

Le chômage diminuait, l'ordre et la discipline régnaient.
La plupart exprimaient leur satisfaction, jugeant que cela allait mieux qu'avant. C'était l'avis de simples citoyens mais cela influençait des Saint-Vithois. Il y avait cependant des thèmes tabous, au sujet desquels ils ne pouvaient manifestement rien dire.

Sans doute cela faisait-il partie de cette discipline à laquelle ils adhéraient.

Le 12 mars 1938, les troupes allemandes envahirent l'Autriche. A croire les informations allemandes, la population enthousiaste acclamait les « libérateurs ». Après quelques mois, d'autres nouvelles filtrèrent cependant. Depuis 1928, les Pères de Steyl possédaient une maison à Montenau, au pied du Wolfbusch. Les Pères assuraient le service de la paroisse d'Iveldingen-Montenau et en même temps la maison servait de lieu de repos pour les religieux revenant de mission. Quelques mois après l'Anschluss, refluèrent à Montenau des Pères de Steyl originaires des maisons de l'ordre en Autriche.

Leurs récits firent dresser les oreilles des gens.

Les Allemands étaient anticléricaux et confisquaient les couvents catholiques : ainsi en 1938 déjà la Maison missionnaire de St-Ruppert à Bischofshofen près de Salzburg avait été transformée en un internat national-socialiste (Nationalsozialistische Heimschule) ([20]) .

Que les nationaux-socialistes s'attaquent au clergé et confisquent les couvents ne laissait rien présager de bon. Les émigrants autrichiens auront une grande importance pour les Pères de Montenau car peu de temps allait s'écouler avant qu'Eupen-Malmédy-Saint-Vith soit à son tour « réuni à la Patrie ». Le Père Schuch, natif de Vienne, avait échappé à grand-peine à ses tourmenteurs. Toutes ses conversations reflétaient la peur du pouvoir brun. Elles constituaient un clair avertissement. Aussi le 10 mai, les Pères de Steyl surent à quoi s'en tenir. Ce fut là un aspect positif.

Mais dans la nuit du 26 au 27 septembre 1938, dans la plupart des villages entre Fagne et Eiffel, la population resta éveillée et bien souvent dans la rue. Les premiers réservistes avaient été rappelés et dans toutes les conversations la guerre à venir était présente ([21]). L'incertitude pesait sur la population. L'accord de Munich du 29 septembre 1938 mit fin à l'alarme ([22])

Depuis 1936, la construction du « Westwall » (Mur de l'Ouest) avait été entamée à la frontière occidentale du Reich. Cela créait de l'emploi pour beaucoup et même des ouvriers de la région y trouvèrent de l'embauche. Seuls quelques-uns à Saint-Vith émirent des critiques à l'encontre de ces fortifications.

Du côté allemand, on insistait sur leur caractère purement défensif.
De plus, elles ne pouvaient nuire à la région : en cas d'Anschluss, en effet, la ligne de défense serait portée plus loin en avant.

Le Westwall était la réponse à la ligne Maginot, mais construit plus en profondeur. Il était constitué de 22.000 ouvrages de béton et d'acier et courait sur la rive droite du Rhin depuis la frontière suisse, ensuite de Saarbrücken, dans la direction de Trèves-Aix-la-Chapelle, jusqu'à la frontière néerlandaise.

En 1938, on travaillait intensément à l'achèvement du Westwall dans le secteur Bleialf Losheim. Ces fortifications n'apportaient pas seulement de l'emploi pour les frontaliers : beaucoup de Silésiens et d'Allemands de l'Est y étaient occupés ([23]).

Le 9 novembre 1938, survint en Allemagne la Nuit de Cristal qui sonna l'heure de la persécution des Juifs. Dans une action concertée, les nazis maltraitèrent les Juifs, démolirent leurs magasins, pillèrent leurs maisons. Ces événements appartiennent aux chapitres les plus noirs de l'histoire contemporaine. Livres et émissions de T.V. leur ont été consacrés. Mais dans ces récits, le pays de Saint-Vith n'est jamais cité et pourtant la région entre Fagne et Eiffel a joué un grand rôle pour beaucoup de Juifs.

Ainsi, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, à Hülscheid, sur le territoire de Manderfeld, un jeune homme de 15-16 ans demanda de l'aide à la maison Schenk. Sa première question fut pour savoir s'il était déjà en Belgique. Le jeune homme pleurait amèrement et son visage était en sang. Quand Schenk et son épouse lui ouvrirent la porte, il raconta qu'il était de Stadkyll et s'appelait Rothschild. 

Sa maison avait été incendiée ; ils avaient, son frère et lui, été battus, ses parents également. Il avait réussi à s'enfuir et voulait gagner Bruxelles. Schenk le conduisit sur la grand-route qui menait à la gare. Le garçon lui dit connaître une adresse précise à Bruxelles. Il s'agissait d'une organisation qui donnait asile aux réfugiés juifs ([24]).

Au début, seuls quelques Juifs isolés franchirent la frontière. Mais, avec le temps, les passages illégaux s'accrurent constamment et constituèrent un problème. Au départ, la population frontalière ne fut qu'indirectement concernée par celui-ci. Mais bien vite, il se trouva des personnes pour tirer profit de cette situation de désespoir. Une organisation fut mise sur pied. A Cologne existait une officine qui se chargeait de conduire à Hallschlag. Là vivaient alors beaucoup d'ouvriers occupés à la construction du Westwall. Le moyen de transport était l'essentiel. Les fuyards étaient pour la plupart conduits à la frontière par camions. Comme les transportés devaient être dissimulés, les gros camions-citerne convenaient particulièrement bien.

On cachait les Juifs dans les réservoirs d'eau. La plupart n'étaient pas préparés à pareille aventure. Secoués, épuisés, souillés, fangeux et transis, ils atteignaient la frontière à Losheim où ils étaient « déchargés » dans le fossé. La route, à Losheim, formait la frontière. On leur indiquait la direction dans laquelle ils avaient à courir et quand tombait l'obscurité, ils prenaient à travers champs jusqu'aux villages belges, Allmuthen et Hergersberg ([25]).

Les autorités belges eurent rapidement vent de la chose. Et pour stopper cette immigration clandestine, on posta des gendarmes. Ils étaient équipés de lourds vélomoteurs et coiffés d'un étrange casque noir. Quand les gendarmes interceptaient des émigrants clandestins dans la zone frontière, il arrivait qu'ils les ramènent à la frontière et les remettent aux mains des Allemands. On les appelait les « chasseurs de Juifs ». Ceux par contre qui leur portaient secours et les emmenaient hors de la zone de danger étaient désignés comme « passeurs de Juifs » (23). Quand les fuyards étaient appréhendés au-delà de la zone frontière contrôlée, ils n'étaient qu'internés. La majorité des Juifs avaient des contacts à Bruxelles ou Anvers. Là fonctionnaient les bureaux pour émigrés qui facilitaient leur « occultation ». Beaucoup de Juifs bien nantis avaient d'ailleurs placé des fonds en Belgique précédemment ([26]).

Là où existe une frontière sévit aussi la fraude. De 1938 au début de la guerre, s'épanouit dans la zone frontière un extraordinaire trafic d'hommes. Quand il s'agissait d'un « voyage » organisé, les Juifs étaient parqués dans une chambre. On parlait peu. Soudain apparaissait un « passeur », chauffeur de camion. Il ôtait son chapeau et ordonnait aux Juifs d'y déposer leurs bagues, montres..., etc... Il s'assurait que le voyage en valait la peine et seulement alors, les fugitifs étaient chargés dans des camions à bestiaux, devaient se cacher sous les ballots de paille. Il arrivait aussi qu'on ait bâti une cachette entre la cabine et le chargement. Ils devaient s'y insérer, sans vision de l'extérieur. Ils y étaient si à l'étroit qu'après peu de temps leurs membres étaient ankylosés. Quand, à travers bois et champs, les fugitifs atteignaient Morsheck, Saint-Vith ou Weywertz, ils s'engouffraient dans des taxis ou poursuivaient leur route en train ([27]). On découvrit un jour, près de Manderfeld, un cadavre de femme démuni du moindre papier : seules quelques pierres recouvraient le corps. L'inconnue — il s'agissait d'une Juive fugitive — fut inhumée au cimetière de Manderfeld ([28]). Des scènes émouvantes se sont déroulées ici, mais il est impossible de les détailler dans ces pages. Dans la plupart des cas, la population, par amour chrétien du prochain et de manière désintéressée, apporta son aide. Mais les gens avaient souvent peur d'être eux-mêmes impliqués.

Au plus fort de la vague d'évasions, en 1938, l'hiver survint. La plupart des femmes portaient des souliers légers aux pieds. Ni les vêtements, ni les chaussures ne convenaient à la fuite. La plupart n'avaient pas prévu d'effectuer une marche forcée de nuit. Mais de Manderfeld à Weywertz, il y a 25 km à vol d'oiseau et cette distance devait être parcourue dans l'obscurité. Cela signifiait ramper à travers clôtures et haies, enjamber des ruisseaux et, en cas de danger, chercher refuge dans la neige et s'y maintenir immobile. Les traînards n'étaient pas admis. Les fuyards atteignaient la gare salvatrice à bout de force.

Beaucoup de « traqueurs » de Juifs éprouvaient de la sympathie pour ces fugitifs et fermaient Mais il se présenta également des cas où des Juifs furent remis entre les mains de leurs tourmenteurs. Parmi les « passeurs » de Juifs il y en eut qui occupèrent ultérieurement une fonction dans l'administration nazie. La plupart agissaient par amour chrétien du prochain. Ils n'étaient pas nazis comme le Parti l'exigeait d'eux !

A partir de 1938, on peut dire qu'Hitler se borna à réaliser les objectifs de sa politique étrangère tels qu'il les avait décrits dans Mein Kampf... Il n'y faisait pas mystère de son intention de réunifier par la force tous les territoires de langue allemande. Clair avertissement à tous les Etats voisins, il proclamait : « Les frontières des Etats ont été établies par des hommes, elles sont modifiées par des hommes » ([29]). Le “Heimattreue Front” trouva ainsi un soutien puissant du côté allemand et l'utilisa pour consolider et parfaire encore ses positions. Les élections d'avril 1939 servirent bien les objectifs du Front et les organisations existantes furent renforcées ([30])

A cette époque, beaucoup d'habitants étaient contraints au chômage et cherchaient du travail dans le Reich voisin. A Saint-Vith, opéraient des recruteurs et beaucoup de jeunes se laissaient séduire. Dans la nuit, ils étaient alors conduits à travers la frontière, convoyés par des membres convaincus du Front.

Beaucoup de ces « nouveaux Belges » appelés sous les armes à la mobilisation avaient été considérés comme peu fiables. Certains dès lors n'avaient pas eu l'occasion de manier une seule fois un fusil et ils en furent profondément humiliés. A leur première permission, ils constituaient une cible désignée pour la désertion. A Bütgenbach, par exemple, dans une famille, cinq frères avaient déjà gagné l'Allemagne. Quand le plus jeune revint en permission en janvier 1940, sa mère lui demanda s'il était conscient que dans un avenir plus ou moins rapproché, il lui serait ordonné de tirer sur ses frères ([31]) . Beaucoup se trouvaient ainsi face à un dilemme. Les Allemands étaient en général rapidement informés de l'arrivée du fuyard et dès le jour suivant, celui-ci devait se présenter au Bureau du Travail où un emploi lui était aussitôt affecté. Il arriva même qu'à certains on demanda : « Etes-vous conscient de ce que vous avez fait ? ». Car il n'existait plus de chemin de retour ! ([32]) .

Depuis l'entrée en guerre de l'Allemagne contre la Pologne, beaucoup de jeunes étaient sous les armes et, dès lors, la mise au travail ne posait aucun problème sérieux. A cela s'ajouta bientôt un élément supplémentaire. Après quelque temps, les réfugiés d'Eupen-Malmédy-Saint-Vith furent convoqués par le chef local de la propagande (Kreispropagandaleiter) qui leur annonça la libération prochaine de leur Patrie. Leur devoir sacré était de participer à ce combat libérateur. Un engagement volontaire dans la Wehrmacht leur était proposé. On n'hésitait pas à soumettre ces jeunes gens à de fortes pressions morales ([33]) . Beaucoup se laissèrent convaincre et s'engagèrent. On les regroupa dans une unité spéciale, « ZBV 800 » ([34]), à Munstereiffel.(http://en.wikipedia.org/wiki/Brandenburgers)

Du côté belge, l'existence de cette unité spéciale était connue. On y avait même introduit des espions, rapidement démasqués d'ailleurs. Mais, pour ne pas donner l'alerte, ces « pro-Belges » furent seulement tenus discrètement à l'œil. Quand vint l'heure H, ils furent mutés dans un service sanitaire loin derrière le Front ([35]) .

La plupart des réservistes issus des régions « nouvellement belges » avaient été réunis dans une même unité non-armée. On l'appelait « Troupe auxiliaire de l'armée », la T.A.A. Brocardant ce sigle, les « Eupen-Malmédiens » se désignèrent rapidement comme les « Tiere Aller Art » (des animaux de toutes espèces) ([36]) . D'un certain point de vue, on se méfiait des T.A.A. ; mais par ailleurs, il semble difficilement compréhensible qu'on les ait autorisés, malgré cela, à rentrer en congé au pays. 

Depuis la fin de 1939, une campagne de désertion avait débuté et, de plus en plus souvent, les permissionnaires ne rejoignaient pas leur cantonnement Mais les désertions ne concernaient pas uniquement les T.A.A. De nombreux autres soldats effectuaient régulièrement leur service militaire dans des unités wallonnes : ils étaient bien informés des dispositifs belges. Leur désertion revêtait donc un prix particulier aux yeux des Allemands. Ils pouvaient fournir la description des lignes de défense et des fortifications.

L'attaque de la Belgique avait été originellement prévue pour le 12 novembre 1939 ([37]) . Trente divisions prêtes à l'assaut avaient été rassemblées entre Kleve et Trèves. Les divisions blindées s'étaient avancées aux frontières et des unités de combat avaient relevé les gardes-frontière. Le gouvernement belge avait été informé de l'attaque probable par son ambassade à Berlin.
Peter Hardy, de Weywertz, alors âgé de près de 45 ans, était entré en conflit avec la loi belge et s'était mué en rebelle. Comme homme de liaison, il renseignait les Allemands sur chaque nouveau barrage routier, sur chaque déplacement de troupe, etc... En novembre 1939, il se décida à gagner l'Allemagne. Il s'engagea aussitôt à la Wehrmacht et fut dès lors amené à Munstereiffel. Mis en présence de bacs à sable, il constata avec ébahissement que les Allemands connaissaient à merveille leurs objectifs de combat.

Les barrages étaient souvent fort primitifs, constitués de vieilles charrettes à foin, de brouettes, de herses ou de rondins de pins. A certains endroits, les routes avaient été barricadées au moyen de pierres brutes.

Entre Andler, près de Schönberg, et Manderfeld, on avait même érigé un mur de pierre de deux mètres de hauteur sur une route. Mais la coupure des voies de communications créait de nombreux inconvénients pour la population ([38]) . Ainsi, par exemple, pour aller de Saint-Vith à Manderfeld, les médecins et sages-femmes devaient souvent effectuer un grand détour. Le boulanger et le boucher devaient décharger devant le mur et transférer leurs marchandises dans un autre véhicule de l'autre côté ([39]) . On peut imaginer sans peine la grogne de la population, d'autant qu'il ne fallait pas être grand expert militaire pour réaliser que ces barrages ne pourraient retenir longtemps les Allemands, et certainement pas leurs blindés. Il y avait là, de la part des Belges, une évidente naïveté.

D'Allemagne filtra la rumeur qu'en cas d'invasion, on règlerait le compte de quelques pro-Belges. Aussi pour ces derniers, ainsi que pour ceux que la politique avait mis en évidence, de réels motifs de crainte existaient et un système d'alarme en cas d'attaque fut mis sur pied. En janvier 1940, coururent à nouveau des bruits d'invasion allemande et beaucoup s'enfuirent alors jusqu'à Nieuport ([40]) . Mais l'attaque n'eut pas lieu et ils rentrèrent chez eux, exposés à la dérision des gens du “Heimattreue Front”. On se moquait d'eux publiquement et on désigna désormais Nieuport sous l'appellation de « Couyonville ».

Paul Drösch, natif de Rocherath, en service à la gendarmerie de Manderfeld, avait été envoyé à vélo ce soir de janvier à la frontière allemande. De là-haut, près de Weckerath, on pouvait voir loin en Allemagne. Drösch avait comme mission de signaler avec sa lampe de poche toute attaque allemande. Ainsi l'alerte serait-elle communiquée au poste de gendarmerie de Manderfeld, distant de quelques kilomètres ([41]) . A l'évidence, nul ne s'imaginait alors réellement ce que pouvait signifier « la guerre éclair ».

Jakob Trauden, de Pronsfeld, près de Prüm, avait servi de 1936 à 1938 dans le Régiment d'Infanterie n° 105 à Trèves et avait été démobilisé comme sous-officier. Rappelé en août 1939, il fut affecté à Steinebrück. Revenant d'une courte permission généreusement arrosée, il s'endormit dans le train... et se réveilla face à deux gendarmes belges. Dans son sommeil, il avait dépassé la frontière allemande ! 

On lui enleva son fusil, mais on oublia de lui ôter son pistolet de service ! Il avait dissimulé sa boussole dans ses bottes. A Lommersweiler, il fut soumis à un interrogatoire sommaire Il fut ensuite dirigé, par Saint-Vith, vers Liège où il fut interrogé plus intensément. On s'étonna de son uniforme neuf et surtout de son coffre à provisions. On s'imaginait que les Allemands n'avaient plus rien à mettre et crevaient de faim. De Liège, il fut emmené à la citadelle de Huy. Jusqu'à l'invasion, il reçut sa solde complète ; l'attaché militaire lui rendit fréquemment visite et il était le bienvenu à la cantine car il y offrait souvent à boire à ses gardiens belges. Quand les Allemands approchèrent, il fut transféré en France et, de longues années seulement après la guerre, il revint d'Amérique dans sa vieille Patrie. Sa connaissance de la deuxième guerre se limite aux récits entendus ([42]) .

Les Belges capturèrent encore un soldat allemand au printemps 1940. Mais il n'y eut pas de déserteurs. Quand on interrogea ce soldat à Saint-Vith, il prononça quelques mots que retint longtemps le gendarme Drösch : « Quand les Allemands arriveront, vous verrez alors ce qu'est la guerre ! » On ne pouvait imaginer alors ce que cela signifiait ([43]).


Le 10 mai 1940, les Allemands franchirent la frontière sur une largeur de 162 kilomètres. L'attaque fut si soudaine que la plupart furent surpris dans leur sommeil. Dans la nuit du 9 au 10 mai déjà, des troupes d'assaut avaient franchi la frontière, guidées par des natifs du lieu, revêtus de l'uniforme allemand. Grâce aux bacs à sable, ils connaissaient leurs objectifs à merveille ([44]) . Les hommes du ZBV 800 avaient reçu à Spandau une formation spéciale de pionniers et ils étaient dotés de l'armement le plus moderne. Pour ne pas faire le moindre bruit, ils portaient le casque sous le manteau. La plupart occupèrent leur poste dès 3 heures et attendirent avec impatience les signes de l'attaque. L'heure de celle-ci était fixée à 5 heures. Si aucun moteur d'avion ne se faisait entendre, cela devait signifier que l'attaque était annulée. Dès lors, l'ordre était de se retirer sans attirer l'attention ([45])

L'assaillant ignorait si le camp d'exercices d'Elsenborn était occupé et s'il offrirait une résistance. S'il était vide, le signal devait être l'explosion du bâtiment de la poste. Mais à l'Hôtel Borg, situé dans le camp, on avait remarqué que les soldats avaient évacué et l'amour du pays prit le dessus. Hardy, le guide du groupe d'assaut, regrettait de détruire le bâtiment. Aussi demeura-t-il intact. Le groupe progressait dans la forêt, dont chaque chemin, chaque arbre étaient connus. Les Belges devaient faire sauter les rails près de Schienen sur la ligne Sourbrodt-Kalterherberg. Mais l'on savait que le train pouvait être occupé par des ouvriers ainsi que des cheminots du coin. Aussi un détachement d'assaut fut-il envoyé au « Grünen Kloster » pour empêcher l'explosion. Cela donna lieu à un combat et il y eut un blessé grave du côté belge qui succomba pendant le transport vers l'hôpital ([46]) . Sur la route du camp vers Sourbrodt, quelques soldats et un gendarme furent capturés. Ils avaient lié leur arme à leur vélo et ils auraient été mille fois abattus avant d'avoir pu la détacher ([47]) .


A la gare de Sourbrodt, il y eut un échange de coups de feu. Une stèle rappelle l'événement. Elle porte l'inscription : « Ici, à l'aube du 10 mai 1940 fut lâchement assassiné par la Cinquième Colonne teutonne Kimmer Gertrude née Theissen. Passant souviens-toi ! » Cette dame voulait encore attraper le train pour Weismes et fuyait dans une voiture de boulanger Au poste d'aiguillage, les soldats belges auraient ouvert le feu sur le groupe d'assaut et une balle perdue l'aurait atteinte. Quand le guide du groupe et son lieutenant atteignirent la gare, ils virent le chef de gare menottes au poing. Hardy ordonna aussitôt de le détacher. Il apprit alors la mort tragique de la femme, épouse d'un gendarme belge ([48]) . On ne connaîtra sans doute jamais la vérité.

Les postes de garde belges du viaduc de Weywertz ne s'étaient pas laissés surprendre et le pont du chemin de fer avait sauté avant l'arrivée des Allemands. Les soldats belges avaient sans doute été avertis d'une quelconque façon car, selon les déclarations du groupe d'assaut, l'attaque avait été bien préparée et excellemment menée ([49]). En revanche, le viaduc de Bütgenbach et la digue demeurèrent intacts. Les combats autour du viaduc firent quelques blessés et aujourd'hui encore, au cimetière de Bütgenbach, la tombe d'un soldat inconnu rappelle le 10 mai. Schoffers, le guide du groupe d'assaut qui avait la mission de s'emparer du barrage intact, tira, à cinq heures du matin, un coup de fusil en l'air, jeta une grenade et cria : « Haut les mains, c'est la guerre ». Ainsi débuta la deuxième guerre mondiale à Bütgenbach ([50]). Totalement surpris, les soldats belges se laissèrent capturer sans résistance. Le gardien du barrage, un civil, Wallon de Malmédy, réveillé par l'assaut, se rua dehors revolver au poing. Il fut aussitôt maîtrisé par quelques Allemands et risquait d'être abattu sur-le-champ comme partisan. « Cela commence ici comme en Pologne ! ». Mais Schoffers intervint et, comme il connaissait le gardien, ordonna de le relâcher immédiatement ([51]) . Il lui sauva la vie ! 
Ils ne pouvaient prévoir alors que cinq ans plus tard, le gardien interviendrait comme témoin devant l'Auditeur Militaire afin d'obtenir la vie sauve pour Schoffers. Un soldat du poste de garde versait des larmes amères alors que, bras en l'air, il prenait le chemin incertain de la captivité. Cinq ans plus tard, il déclarait s'être battu jusqu'à la dernière cartouche avant de se rendre. Désignant « le héros », l'Auditeur Militaire eut ces paroles : « Vous voyez la bravoure de nos soldats ! » ([52]) .

Les coups de feu avaient averti les civils de l'arrivée des Allemands et certains n'eurent rien de plus pressé que de courir sur les lieux du combat. La chance seule explique qu'il n'y ait pas eu plus de victimes.

La population civile de Saint-Vith fut très tôt sur pied le 10 mai. Les sentiments étaient partagés. La génération qui avait participé à la Grande Guerre savait ce que signifiait ce jour : c'était le début de la seconde guerre mondiale. La Belgique y était entraînée et, circonstance aggravante, le pays de Saint-Vith était zone frontière. Si l'Allemagne ne réussissait pas sa percée et que l'on en arrivait à une guerre de positions, il y avait grand danger que le pays fût anéanti. Beaucoup de jeunes gens servant dans l'armée belge, aboutirait-on à une guerre civile ? Beaucoup se hâtèrent de rejoindre leurs amis pour ne pas les laisser seuls en cet instant ou pour demander assistance.

La jeunesse était dans sa majorité enthousiaste et suivait avec intérêt la progression allemande. Ces jeunes ne pouvaient prévoir qu'ils en seraient quelques mois plus tard. Mais au lieu de connaître la marche triomphale, ils participeraient à une retraite bouleversante. Bien des leurs perdraient la vie sur de lointains champs de bataille d'Europe ou d'Afrique ou subiraient leur vie durant les suites des blessures encourues.

La population civile emplissait les rues, fêtait ses enfants revenus au pays ([53]). On ne tendait pas seulement la main, on versait à boire, offrant cigarettes et chocolat. Soulignons cependant que les attentions des Saint Vithois n'allaient pas uniquement aux vainqueurs ; bien des prisonniers reçurent également à boire le lait que les paysans ramenaient de la traite. De même, beaucoup de soldats belges, quand ils étaient casernés là, ne devaient pas faire appel à la cantine militaire. Reçu à la table familiale où il occupait souvent la place du fils sous les drapeaux, le milicien s'était fréquemment vu servir son plat favori ([54]).

Le 10 mai à Saint-Vith, les gendarmes tirèrent avec leur fusil sur les Stukas volant en rase-mottes. 

Leur chef donna l'ordre d'ouvrir le feu dès qu'il aperçut les premiers Allemands. D'après l'ex-gendarme Drôsch, d'entrée de jeu, leur situation était cependant sans issue. Face à l'entraînement de la Wehrmacht, leur formation était défectueuse ; ils ne disposaient, en outre, que d'armes dépassées ([55]). Ici aussi, des civils arrivèrent sur les lieux et des Heimattreue participèrent, armés, à la « lutte de libération ». Deux gendarmes périrent et sept furent blessés. Un civil fut atteint à la jambe. Un gendarme grièvement blessé, dirigé d'urgence, sur une échelle, vers le plus proche hôpital, expira en chemin ([56]). Le pont près du Rosenhügel avait sauté, précipitant dans le vide le dernier wagon de voyageurs et le wagon à bagages d'un train qui le traversait.

L'hôpital de Saint-Vith était comble de blessés. Les civières chargées reposaient jusque dans les corridors. Les médecins étaient impuissants. De nombreuses auxiliaires volontaires s'étaient offertes et soignaient amis et ennemis. Le souvenir est demeuré parmi elles d'un officier français qui ne voyait qu'assassins parmi les Allemands. Il les haïssait du fond du coeur et refusait les soins du médecin-militaire. Il mourut proférant les pires imprécations. Il fut inhumé au cimetière de Saint-Vith. Mais, l'année suivante, son corps fut exhumé et transféré en France ([57]) .

A Saint-Vith, arrivaient chaque jour de nouveaux prisonniers, et quotidiennement les gens allaient voir s'ils n'y reconnaissaient pas l'un ou l'autre. Dans le bas de la commune était établi un camp de prisonniers coloniaux. Beaucoup avaient peur d'eux. Ce préjugé n'était vraisemblablement pas dû aux méfaits qu'on leur attribuait mais bien à leur couleur de peau ([58]) . Les jeunes d'Eupen-Malmédy-Saint-Vith prisonniers des Allemands furent rapidement libérés et rentrèrent souvent au foyer par des chemins aventureux. Les natifs du pays qui avaient guidé les troupes d'assaut allemandes et pour une très grande part assuré leur succès, reçurent presque tous la Croix de Fer de 2me classe pour leur action. Après le 10 mai, ils ne furent provisoirement pas désignés pour d'autres combats. Après cette dangereuse aventure, on leur accorda un congé au foyer. Ceux de Saint-Vith furent affectés à l'hôpital Saint-Joseph, transformé en un grand hôpital militaire et surpeuplé. Le commandement allemand avait bien escompté qu'il n'y aurait pas, à la frontière, de soldats belges originaires d'Eupen-Malmédy. 

En refusant à ceux qui portaient ses couleurs de pénétrer en Belgique, il voulait empêcher que deux frères puissent devoir combattre l'un contre l'autre ([59])

Une fois de plus, les Allemands avaient une longueur d'avance dans l'art de la guerre. Ils n'avaient pas seulement de meilleures armes. Déjà en 14-18, ils portaient des uniformes « feldgrau » là où les Français en culottes rouges offraient de merveilleuses cibles. En 1940, ils avaient la supériorité des airs et enfonçaient les lignes ennemies avec leurs chars. Mais ils disposaient également d'une nouvelle arme très importante, la propagande, « l'arme de la guerre psychologique » ([60]). La Compagnie de Propagande (P.K.) en relevait, mais aussi la sirène des Stukas bombardant en piqué. 

La guerre civile d'Espagne avait permis d'en faire l'expérience. Quand fut prise la gendarmerie de Saint-Vith, on plaça les gendarmes et les « libérateurs » devant l'homme de la P.K. et, au commandement, les prisonniers durent une nouvelle fois lever les bras ([61]) . Cette photo de la prise de la gendarmerie fit le tour de toute la presse allemande comme celle de la conquête de la première ville allemande libérée.

Mais certains voulurent assouvir leur vengeance et ainsi quelques excès furent commis à Saint-Vith. On obligea quelques pro-Belges à parcourir la ville, pieds nus et mains levées, sous la risée des habitants. Quand l'un des dirigeants du Heimattreue l'apprit, il se rendit aussitôt sur place et cria :
 « C'est aujourd'hui le jour merveilleux que nous avons si longtemps attendu et vous voulez le souiller avec cela ! » Le supplice prit fin aussitôt ! ([62])

Il faut être habitant des frontières pour connaître les problèmes que cela soulève. De même il faut se remettre dans les conditions de l'époque et à la place des individus pour pouvoir comprendre et juger. 

La plupart des habitants avaient des parents du côté allemand. Ils eurent souvent conscience très tôt des à-côtés du mouvement « Retour au Reich ». Les premiers opposants au national-socialisme se manifestèrent dans le pays de SaintVith ! Ils prirent parti pour la démocratie ou pour la Belgique. Ils ne se turent pas ! Ils prirent les risques de la prison et du camp de concentration ! ([63])

Le 18 mai 1940, un décret spécial du Führer intégrait Eupen-MalmédySaint-Vith et Moresnet au Reich. Cette région, attribuée à la Belgique par le Traité de Versailles, est demeurée toujours intimement liée à l'Allemagne et ne pouvait être considérée ni traitée comme pays ennemi occupé ([64]) . Le dimanche suivant, les cloches sonnèrent dans toutes les paroisses du pays de Saint-Vith. 

Ce n'était pas la première fois qu'elles célébraient pareil événement. Elles avaient annoncé les 17 et 18 janvier 1816 le rattachement de Saint-Vith à la Prusse ([65]) . Mais bien de ces cloches allaient être dans un avenir proche fondues et transformées en canons. La ville de Saint-Vith reçut l'ordre de pavoiser. En fait, dès le jour de l'invasion, des drapeaux à croix gammée avaient flotté, cousus parfois dans la nuit même. A quelques habitants qui n'avaient pas de drapeau nazi, le chef territorial conseilla d'arborer les couleurs de la ville ou bien encore les bannières de la Fête-Dieu. La croix gammée n'était pas indispensable au retour dans la Patrie.

Dans les jours et les semaines qui suivirent, l'administration militaire allemande veilla à ce que la vie normale reprenne au plus vite. Le 7 juin déjà, le Reichsmark fut introduit ([66]) . Saint-Vith, comme chef-lieu de canton, possédait un bureau d'enregistrement et domaines ainsi qu'une recette des contributions. Ils furent supprimés et leurs attributions confiées à Malmédy. Le bureau des contributions de Bütgenbach disparut également.

L'école épiscopale de Saint-Vith resta initialement fermée et beaucoup d'élèves passèrent à l'Athénée de Malmédy. Les bâtiments avaient servi d'hôpital de campagne pour la Wehrmacht. L'inscription des élèves débuta seulement le 15 octobre 1940. L'école épiscopale devint une école secondaire pour garçons ([67]) à Montenau avait été achevé. Mais à présent, les Allemands étaient là ! Selon toute vraisemblance, frères et pères étaient promis au même sort que leurs semblables autrichiens. Le Père Dümpelmann, alors Recteur du Couvent de Montenau, tenta une démarche diplomatique : à l'été 1940, il prit contact avec l'Etat-Major du 7e Corps d'Armée à Munster et proposa sa maison comme hôpital pour la Wehrmacht. Les pourparlers traînèrent pendant des mois mais finalement, en 1941, arrivèrent les premiers malades et blessés. Cette activité nécessitant de nombreuses bonnes volontés, il fut fait également appel aux Soeurs de la Congrégation de Steyl qui y demeurèrent jusqu'à la fin de la guerre ([68]).

Des organisations politiques furent mises sur pied et, dans bien des cas, des anciens Heimattreue en prirent la direction. En beaucoup d'endroits, des responsables se présentèrent volontairement, non par enthousiasme ou conviction national-socialistes ([69]), mais bien plutôt pour ne pas laisser tout le pouvoir entre les mains de fanatiques ou de Reichsdeutsche imposés par les nouveaux maîtres pour mettre en place le système national-socialiste.

On était convaincu que le nouveau pouvoir s'installerait selon le modèle mis au point dans le Reich. Aussi pour les paysans, il était capital que la fonction de Ortsbauern f ührer (chef local des paysans) fût confiée à des hommes modérés et de la région. Beaucoup pressentaient les problèmes que soulèveraient pour les civils les réquisitions de guerre.

L'on savait aussi que le nouveau pouvoir était hostile à la religion et cependant il fallait assurer la préservation du caractère chrétien de la population. Ainsi, par exemple, l'Ortsgrup pen f ührer (chef local du parti) , de Manderfeld, un militant Heimattreue chevronné d'avant-guerre, échoua rapidement sur la liste noire. Seul un engagement volntaire dans la Wehrmacht lui permit d'échapper aux exigences toujours plus lourdes et éprouvantes de la direction du Parti. La résistance à l'idéologie nazie surgit dès le départ du sein même de l'organisation ([70]) .

Bien entendu, on ne peut porter chacun aux nues. Des actes arbitraires et des dénonciations furent commis Des cheminots, enseignants, agents des postes et des finances ne furent pas réadmis en service en raison de leur attitude pro-belge ou de leur désaccord avec les nazis Ou bien encore ils furent déplacés dans l'Altreich (ancien empire), comme on l'appelait alors... Là, ils trouvèrent compréhension pour leur attitude, furent réhabilités et revinrent bien souvent, au grand dépit des dénonciateurs, à leur ancien lieu de travail. Une petite partie des fonctionnaires choisit cependant l'exil en Belgique pour quelques années ([71]) . Parmi eux, beaucoup étaient venus de Belgique à Saint-Vith après 1920. Ils regagnaient leur ancienne patrie. Beaucoup purent s'en aller librement avec leurs biens. Les fonctionnaires muent dotés, depuis avant la guerre, d'un livret de mobilisation dans lequel figuraient les instructions en cas de guerre. Entre autres, il leur était enjoint de demeurer à leur poste. Il fut reproché à quelques fonctionnaires ayant choisi l'exil d'avoir transgressé cet article. Ils avaient espéré être accueillis à bras ouverts, mais pour les Belges ils étaient de « nouveaux Belges », en fait d'anciens Allemands, originaires du pays de Saint-Vith, à nouveau allemand. La méconnaissance du français aggravait encore la situation de beaucoup d'entre eux.

Mais il ne faudrait pas imaginer que les « frères germaniques libérés » furent accueillis partout dans le Reich avec chaleur. Au contraire, on les affublait souvent de sobriquets péjoratifs comme
« Beutegermanen », littéralement « butin germanique », ou encore « Rucksackdeutsche », « Allemands sac-au-dos », Allemands transitoires, Allemands voyageurs. Ceci illustre bien le triste sort des populations frontalières.

Au début de 1942, commença la vague d'incorporations dans la Wehrmacht. Depuis le 10 mai, quelques volontaires s'étaient engagés mais on peut supposer que leur nombre est bien mince en regard des futurs incorporés obligatoires. La résistance débuta et grandit avec cette mobilisation dans la Wehrmacht. On peut distinguer trois groupes de résistants :

D'abord ceux qui par conviction patriotique s'opposèrent dès l'invasion au régime national-socialiste et préférèrent gagner la Belgique.

Le deuxième groupe se compose de ceux qui refusèrent l'incorporation dans la Wehrmacht et prirent la fuite.

Dans le troisième, figurent ceux qui rejoignirent le camp du futur vainqueur après la bataille de Stalingrad ([72]) .

Ces groupes se subdivisent à leur tour en résistants passifs et actifs.

On pourrait croire que le cas des Prisonniers Politiques est simple. Malheureusement, après la guerre, des personnes se présentèrent, rescapées des prisons et camps allemands, comme persécutées politiques alors qu'elles avaient dû leur internement à des infractions aux lois économiques ou tout simplement au droit commun. Beaucoup d'autres encore, désireuses de se blanchir, s'imaginaient qu'en dénonçant leur voisin ou leur ennemi intime, elles acquerraient une honorabilité patriotique.

A l'aube de l'année 1944, sous des apparences immuables, l'image du pays de Saint-Vith s'était profondément modifiée. Bien des mères et des épouses pleuraient leur fils ou leur mari tombé sur de lointains champs de bataille. Au pays, les vieux devaient remplacer les soldats et travailler dur. 

L'enthousiasme initial qui avait accueilli l'invasion allemande s'était envolé. On n'avait pas imaginé les choses ainsi. Du front arrivaient sans cesse des nouvelles menaçantes. Un avenir incertain se dessinait et la propagande allemande peignait tout en de sombres couleurs. Et de fait, chaque nuit on entendait l'incessant vombrissement des bombardiers alliés volant vers le Reich pour y semer la ruine et la mort ([73]) .

Quand les Alliés débarquèrent en Normandie le 6 juin, on sut qu'un tournant radical était pris. Bien que les communiqués de la Wehrmacht n'aient admis qu'avec réticence l'avance alliée, des nouvelles filtrèrent qui ne laissaient plus aucun doute sur la défaite allemande. Début 1944, on avait incorporé dans la défense anti-aérienne (FLAK) les jeunes jusqu'à quinze ans et demi ([74]) . On ne s'embarrassait plus de rien. Le 9 août 1944, des bombardiers américains attaquèrent Saint-Vith et le camp d'Elsenborn. Six habitants perdirent la vie et la vieille église paroissiale brûla jusque dans ses fondements. Dans les semaines qui suivirent, on vit passer de plus en plus de colonnes motorisées allemandes refluant dans le Reich. Les rumeurs les plus diverses parcoururent la ville. Depuis le 13 mai 1944, les Allemands avaient mis en service une bombe volante sans pilote qui opérait de grands ravages chez l'ennemi. Certains avaient vu passer dans le ciel nocturne ce fantôme crachant du feu et pétaradant. Le communiqué de la Wehrmacht annonçait qu'il s'agissait d'une arme de représailles (Vergeltungswaffe). Aussi cette arme dirigeable moderne fut baptisée V1. Elle devait être suivie de V2, V3, etc... Certains pensaient que les V1 devaient être utilisés contre les Américains s'ils assaillaient le Westwall. Ainsi le pays de Saint-Vith se trouverait à nouveau entre les deux fronts et subirait de grands dommages ([75]) .


Le 4 septembre finalement, les rumeurs devinrent réalité. La veille, un dimanche, s'était tenue une réunion du Parti et il avait été décidé d'évacuer Saint-Vith. Les membres du Parti allaient de maison en maison et conseillaient aux vieux de quitter la ville par le train. Le pain, les chaussures, etc., étaient vendus sans timbres. Beaucoup de Reichsdeutsche en particulier embarquèrent.

Le chef  local du Parti (Ortsgruppenführer) et le bourgmestre s'opposèrent bruyamment. Le chef Margraff refusait l'ordre d'évacuation : natif de Saint-Vith, il ne pouvait en prendre la responsabilité. 

De plus, ce n'était pas l'affaire du Parti ! Mais quand l'ordre arriva d'en haut, l'administration communale dut l'exécuter. C'est ainsi que les policiers Margraff et Girretz, ainsi que l'huissier de la ville, Müller, reçurent l'ordre d'avertir la population que la ville devait être évacuée pour 19 heures ([76]) . De fait, il s'agissait de la première ville allemande sur le point de tomber aux mains des Américains.

Ceux qui s'étaient joints aux caravanes de fuyards s'y étaient sentis obligés. Leur activité de guerre leur collait à la peau. Certains chargèrent leurs biens sur une charrette à bras et cherchèrent asile auprès de parents ou d'amis dans les villages proches. Mais il en fut que rien ne put émouvoir et qui demeurèrent dans leur maison. Beaucoup d'habitants de Saint-Vith avaient alors les larmes aux yeux. 

Le bétail emmené mugissait et ne voulait pas quitter la ville ([77]) . La caravane se composait de 64 attelages dont quelques-uns tirés par des boeufs. Dans leur hâte, la plupart n'avaient emmené que le strict nécessaire, oubliant souvent le plus important. A lui seul le fourrage du bétail occupait une place énorme. Pour le médecin qui était du voyage, on avait aménagé une automobile fonctionnant à l'essence purifiée en provenance de la pharmacie Lorent. Du fait de sa présence dans la colonne, malades et femmes enceintes n'avaient pas hésité à s'y joindre.

Dès la première nuit, les fuyards furent tirés de leur sommeil : il fallait se presser car l'avant-garde des blindés américains était dans Saint-Vith. Beaucoup ne voulaient pas trop s'éloigner du Westwall. 

Plus on s'enfonçait dans le Reich, plus on s'exposait aux bombardements, plus ardu devenait le retour. Dès la clarté venue, les chasseurs bombardiers surgissaient survolant le convoi et y semant l'effroi et la panique ([78]) . Quelques jours après, l'ordre atteignit la colonne que les femmes, les enfants et les vieux devaient la quitter et continuer par chemin de fer. Ils ne devaient être transportés que jusqu'à Euskirchen. Cette nouvelle créa une forte émotion chez les hommes. Etait-ce une tactique des Allemands pour les forcer à poursuivre ? Après quelques jours en effet, ils avaient réalisé la situation et beaucoup refusaient d'aller plus loin. Voulait-on ainsi les rendre dociles ? En tous les cas, ils ne voulaient pas franchir le Rhin ([79]) .

A Meckenheim, ils furent reçus par leur ancien bourgmestre Mayer. Alors que le convoi atteignait ce village, les chasseurs-bombardiers firent sauter un train de munitions. Mais pire encore, ils apprirent que ceux dont ils avaient dû se séparer avaient été transportés plus loin, en direction de Kassel. Le retour était désormais hors de question ! A Siegburg, la caravane passa devant une colonne de prisonniers : on y reconnut Linden, de SaintVith, prisonnier politique condamné à mort pour démoralisation de l'armée. Le convoi fut conduit jusqu'à Dransfeld, Hannoversch - Minden. Là, tout était organisé au mieux. Les réfugiés de Saint-Vith reçurent un accueil chaleureux et, pour autant que ce fût possible, les hommes trouvèrent rapidement du travail ([80]) .

A Saint-Vith, l'hôpital de campagne avait été dissous. Quelques voitures de reconnaissance stationnaient seules aux carrefours. En bas, dans la Rodlerstrasse, un détachement SS fit sauter quelques gros arbres et en barra la route. Bien des Saint-Vithois se trouvaient alors en vacances. Une série d'entre eux décida de se cacher pour attendre l'arrivée des Américains.

La gare de Saint-Vith avait été fort endommagée par le premier bombardement du mois d'août 

Malgré cela, dans les derniers jours avant l'arrivée des Américains, une acitivité fébrile régna sur les quais. Le 10 septembre, on assembla tous les wagons ainsi que les locomotives disponibles sur la voie vers Gerolstein. Ce précieux matériel de guerre fut amené via Gerolstein et Grimberg à Holzwickede, près de Uma. A l'exception d'une locomotive endommagée, de type T 14, tout fut évacué. Triste spectacle quand on songe qu'en sa période de gloire cette gare employait jusqu'à 1.000 personnes ([81]).

Les premiers Américains pénétrèrent le 12 septembre dans les faubourgs de Saint-Vith. Dans la Fagne environnante une arrière-garde SS avait encore livré un furieux combat. Mais cela ne pouvait plus stopper l'avance, seulement la retarder. Au crépuscule, les assaillants se retranchèrent. La nouvelle de l'arrivée des Américains se répandit comme une traînée de poudre. Un Saint-Vithois muni d'un drapeau blanc se porta à la rencontre des Américains pour leur annoncer que la ville était sans défenseurs. 

C'est le lendemain cependant que les G.I.'s surgirent de leurs tranchées et investirent la ville. Pour beaucoup de Saint-Vithois la présence américaine paraissait étrange. Il ne s'agissait pas d'une invasion comme le 10 mai 1940. Tout au long de leur avance libératrice, les Américains avaient été acclamés par la population civile. 
A Saint-Vith, par contre, personne ne s'attardait dans les rues. Un grand désenchantement s'était installé ([82]) . On avait conscience d'être désormais séparé des amis et parents évacués, ainsi que des hommes combattant du côté allemand. Quand aurait-on à nouveau des nouvelles d'eux ? Des pensées diverses assaillaient les Saint-Vithois.

Sur les pas des Américains suivait l'Armée Blanche. 

Ses membres se considéraient en pays ennemi et ils occupèrent la ville à grand fracas. Les plaintes s'accumulèrent, si bien que les Américains prièrent les Résistants de monter volontairement au Front près de Manderfeld ou de remettre leurs armes sur la place du Marché. Ils furent finalement ramenés en camions militaires à l'intérieur du pays. Ils n'avaient malheureusement pas grandi l'image du « libérateur » ([83]).

Les jours suivants, les anciens Saint-Vithois rentrèrent d'exil. 

Le bourgmestre Fères retenu à Bruxelles comme député, le premier échevin Hubert Simons occupa la fonction de bourgmestre FF. Hermann Lehnen remplit les fonctions de secrétaire communal et le commissaire de police Hennes mit sur pied, avec des Résistants originaires de Saint-Vith et des environs, une petite force de police.

Le rétablissement de l'administration belge créa de gros problèmes. Il fallait remplacer les documents d'identité, changer la monnaie, introduire les cartes belges de ravitaillement, etc... ([84]) .

Les « Civil-Affairs » s'étaient établies dans la maison Pip-Margraff. Le capitaine Green, chef de poste, témoignait d'une grande compréhension pour la situation, et la bonne entente régnait entre « Civil-Affairs » et administration belge ([85]) .
Très rapidement, les habitants de Saint-Vith ayant servi dans l'armée allemande et s'étant laissé surprendre, durent comparaître devant le contre-espionnage américain (C.I.C., Counter Intelligence Corps) . Ils y furent interrogés et il leur fut demandé s'ils avaient appartenu à une unité de Wehrwolf . On ne pouvait imaginer simplement qu'ils avaient profité d'un congé au pays pour ne pas rejoindre leur unité. Quelques jours après, les prisonniers furent embarqués et emmenés dans un camp de P.G. à Cherbourg, sur la côte atlantique. Il y avait là près de trois à quatre cents prisonniers originaires d'Eupen-Malmédy-Saint-Vith.

Pour Noël, un chœur de prisonniers se forma. 
Un Eupenois avait écrit un texte qui fut chanté sur une mélodie de Gerhard Winkler. 
Johannes Piette avait composé une partition pour chœur à plusieurs voix et il conduisit les répétitions. La chorale se produisit dans la nuit de Noël, mais, en même temps, dans les nuages, se faisait entendre le vrombissement des avions. Ils volaient vers Saint-Vith pour raser la ville ([86]) .

Le 4 octobre, la 211e Division d'infanterie U.S. s'installait à Saint-Vith. Elle avait combattu depuis le débarquement et possédait donc une grande expérience du Front. Sans doute prévoyait-on déjà une attaque allemande et l'on attendait sa poussée dans la direction de Saint-Vith. Le Front entre Burg-Reuland et Ouren n'était que faiblement couvert. Un officier supérieur des parachutistes américains, en inspection au Front, confia à l'officier commandant la résistance, qu'il en était ainsi dans l'espoir que les Allemands attaqueraient effectivement ([87]) . Quand on constata que la 6me Armée blindée SS tentait de percer la ligne Elsenborn-Liège près de Rocherath, la 2nd Division U.S. fut déplacée plus au Nord. Toute étude de l'offensive von Runstedt devrait tenir compte du fait qu'Eisenhower prit seul la responsabilité de ne garnir que faiblement le Front des Ardennes.

Le 16 décembre 1944, aux premières heures du matin, éclataient à Saint-Vith ainsi qu'à Malmédy plusieurs grenades tirées depuis un train blindé. SS et parachutistes se combattaient avec acharnement pour chaque mètre de terrain près de Manderfeld. 
Les Américains se défendaient avec l'énergie du désespoir. Le bourgmestre ff. Simons ayant gagné en hâte l'Hôtel de Ville, il fut introduit auprès de l'officier des « Civil Affairs » qui lui assura qu'il ignorait tout d'une attaque allemande.. S'il en était autrement, il en aurait été informé ([88]) !

L'interdiction de circuler fut proclamée, les services religieux furent suspendus ; il était même interdit de stationner à sa fenêtre. A nouveau, beaucoup de Saint-Vithois cherchèrent à fuir. Certains avaient reçu, immédiatement avant l'arrivée des Américains leur ordre de rejoindre et ne s'y étaient pas conformés, ou bien encore ils n'avaient pas aidé aux travaux de fortifications. Il s'agissait pour eux de fuir. 
Ceux qui étaient rentrés d'exil quittèrent à nouveau la ville. Le 13 décembre, la 2e Division d'infanterie U.S. fut déplacée dans le secteur Wirtzfeld-Rocherath-Elsenborn. 
C'est là que Sepp Dietrich devait percer avec sa 6e Armée dans la direction Elsenborn-Liège ([89]) .
Des parachutistes allemands sous les ordres du Colonel von der Heydte avaient sauté sur la Haute Fagne avec mission de tenir les carrefours dans la direction Verviers-Liège. Mais l'opération échoua. La plupart des parachutistes ne furent pas largués au-dessus de leur objectif, ou bien le ravitaillement ne suivit pas, et après quelques jours, toute l'entreprise dut être considérée comme un échec : le Colonel von der Heydte se rendit aux Américains à Monschau ([90]) . 

Près de Wirtzfeld cependant le groupe blindé Peiper réussit à percer dans la direction Elsenborn-Liège. Mais le feu des Américains fut si puissant que Peiper choisit de bifurquer en direction de Bütgenbach. Sa tentative échoua dans le domaine de Bütgenbach.
De là, il prit la direction Schoppen, Ondenval, Baugnez Ligneuville vers Stavelot. 
Vers 13 heures, les premiers chars allemands traversaient Baugnez. Et peu après, « Radio Calais » clamait la nouvelle du massacre ([91]).

Les Américains se trouvaient en sérieuse difficulté dans l'Eiffel. Saint-Vith était particulièrement en péril, pris en tenaille par la 5e Armée du Général Hasso von Manteuffel. Cet important noeud stratégique de communications devait tomber entre les mains allemandes au plus tard le 17 décembre à 18 heures sous peine de faire échouer toute l'offensive ([92]). 

La 7e Division blindée américaine du Général Clarke fut déplacée en hâte de Heerlen à Saint-Vith et défendit cinq jours durant la ville contre les assauts allemands. 
Le Général von Manteuffel avait conquis auprès des Américains le surnom de « Général Boomerang » ([93]). A chaque fois qu'on croyait l'avoir enfin repoussé définitivement, il réapparaissait soudainement ailleurs et donnait à nouveau du fil à retordre. 

La défense de Saint-Vith permit aux unités américaines de se replier et le 22 décembre, le Maréchal Montgomery ordonna le retrait total. La gare de Saint-Vith était considérée comme une importante gare de manœuvres et, de plus, comme nœud de communications, la ville était stratégiquement importante. Dès les premiers jours du retour des Allemands, le Kreisleiter Saal ainsi que d'autres hauts fonctionnaires du Parti refirent surface. Le Kreisleiter Saal attribua le repli à un sabotage de la Wehrmacht et promit que tout désormais irait beaucoup mieux ([94]).



Mais le jour de Noël, vers trois-quatre heures de l'après-midi, Saint-Vith fut bombardée. La partie haute de la ville fut sérieusement atteinte. 
Ce n'était qu'un début ! Le lendemain de Noël, Saint-Vith fut réduite en cendres par 294 quadrimoteurs Lancaster et bombardiers Halifax. Avaient pris part au raid sur Saint-Vith, non seulement des escadrilles anglaises, mais aussi françaises, australiennes et néo-zélandaises. Un total de onze cent trente-neuf tonnes de bombes fut largué. Les pilotes se tirèrent fort bien ce jour-là du danger que présentait cependant le rideau de défense antiaérienne large de 20 miles. La Luftwaffe n'avait plus la moindre force de frappe ([95]) . Habituellement les formations américaines volaient de jour alors que les bombardiers de la R.A.F. attaquaient de nuit. Saint-Vith fut cependant réduite en cendres par des escadrilles anglaises ([96]) . Ce fait résulte d'un accord passé depuis le débarquement du 6 juin par lequel le R.A.F. Bomber Command était tenu d'appuyer les formations américaines dans le cadre d'Overlord ainsi que de toutes les missions sur l'Europe ([97]) . Ainsi, en décembre 1944, la R.A.F. effectua 3.656 missions de jour et 11.239 sorties de nuit. En août 1944, les Britanniques avaient même effectué 10.271 sorties de jour pour 10.013 missions nocturnes ([98]) . 



Malmédy, qui ne tomba jamais aux mains des Allemands pendant l'offensive, fut bombardée deux fois (en fait 3 fois) et beaucoup de G.I.'s trouvèrent la mort dans ces actions ([99]).
On jeta d'abord des bombes explosives, puis pour parachever, des bombes incendiaires. Or Saint-Vith possédait encore beaucoup de maisons à colombage et l'incendie était visible des kilomètres à la ronde. Le nombre des victimes de ce bombardement n’est pas établi. Les évaluations varient de 1000 à 1500 morts. Rien que dans la cave sous le cloître de l’église 300 personnes perdirent la vie. Il se trouvait alors à Saint-Vith beaucoup d’évacués des villages du Westwall. 

Les registres de population furent également détruits. Après guerre, on nettoya la ville et toutes les ruines furent assemblées près de la Büchelturm en un gigantesque tas. Il est fort vraisemblable que des squelettes demeurent encore ensevelis sous ces décombres et surtout beaucoup d'objets de valeur. Aussi la rumeur populaire désigne-t-elle cette colline, à côté de la Büchelturm, où s'étend aujourd'hui le parc communal, du nom de « Montagne aux millions ». 

Le Père Goffart, alors aumônier de l'hôpital, avait exposé à l'adoration des croyants les Saints Sacrements dans la cave. Un office devait avoir lieu à 15 heures. Grâce à cette heureuse circonstance, la plupart des patients et des Sœurs se trouvaient alors à la cave. Seuls les vieux et les infirmes étaient demeurés en haut, dans leur chambre. Ils connurent une mort atroce car ils furent brûlés vifs ([100]).

Dans le Weserland, les fuyards connurent également les bombardements. Hans Esselen, un Saint-Vithois arrêté pour espionnage, avait réussi à se libérer. Il informa les Saint-Vithois de la destruction de leur cité. Aucun de ses auditeurs ne put retenir ses larmes ([101]) . Ils n'avaient pas seulement perdu leur Patrie, tous leurs biens étaient détruits. Ils ne possédaient plus que ce qu'ils portaient.

Le 25 janvier 1945, Saint-Vith était à nouveau aux mains des Américains. Mais il n'y avait plus de rues. Seuls des sentiers cheminaient entre les ruines. Des habitants isolés revenaient en ville chercher leurs morts dans les décombres. Neuf maisons seulement tenaient encore debout, encore que fortement endommagées. Chaque jour, on découvrait de nouvelles victimes, chaque jour, des avis de décès parvenaient aux habitants ([102])

Le Front se déplaça rapidement vers l'Est et bientôt on apprit que les Américains avaient franchi le Rhin. Les réfugiés revinrent lentement de leur exil en Belgique et l'Administration belge se réinstalla à son tour.

Après l'offensive, un changement s'était produit dans l'opinion. Le temps des maîtres bruns était définitivement passé, des hommes nouveaux apparaissaient. Les prêtres originaires d'Allemagne durent quitter le pays, bien qu'en haut lieu on fût intervenu en leur faveur ([103]). Le doyen Breuer, décédé ultérieurement à Schulter, près de Gerolstein, fut l'un des premiers expulsés et trouva asile au séminaire d'Aix-la-Chapelle ([104]
Mais les ecclésiastiques Reichsdeutsche ne furent pas seuls à devoir quitter le pays. 
Le chapelain Messerich fut déplacé à l'intérieur du pays et ne regagna sa Patrie natale que de longues années après, comme curé de Faymonville. Des changements importants de personnel administratif eurent lieu au pays de SaintVith ([105]).

Quand le Front approcha de Kassel, une partie des Saint-Vithois fut intégrée aux Volkssturm, d'autres fuirent à nouveau. Ils voulaient échapper à la guerre, mais celle-ci dévorait tout le monde. Un jour, parvint à SaintVith la nouvelle qu'avaient été découverts, près de Wibrin, les corps du commissaire de police Hennes, de son fils et du policier auxiliaire André Fagnoul. Ils avaient été abattus par les Allemands. On sait aujourd'hui que des soldats SS français appartenant à un commando spécial de la Gestapo traquaient ces fugitifs. Ils avaient été dénoncés. En présence d'une très grande foule, ils furent inhumés le 29 août 1948 au cimetière de Saint-Vith([106]).

En mai 1945, à Hannoversch-Münden, on se préparait au retour à Saint-Vith. Ce fut une démarche difficile. En chemin déjà, ils apprirent que la chasse aux nazis était ouverte dans leur pays et que beaucoup d'innocents en souffraient. Mauvais traitements, emprisonnements et corvées étaient à l'ordre du jour. Plusieurs rebroussèrent chemin à mi-route. 
Mais d'autres agirent selon le vieil adage : « Rien n'est jamais mangé plus chaud qu'il n'a été cuit ». 

Ils durent d'abord séjourner dans un camp d'accueil près d'Aix, puis seulement furent autorisés à franchir la frontière Mais à Saint-Vith, la populace les attendait. La vague épuratrice avait commencé, et comme déjà dit plus haut, elle fit beaucoup de victimes. 
Les revenants connurent souvent les « haies d'honneur » douloureuses. 
Les prisons étaient surpeuplées si bien qu'il fallut utiliser des écoles comme geôles ([107]). 
Les pratiques tant dénoncées auparavant étaient désormais adoptées. 

L'Auditorat Militaire de Malmédy-Saint-Vith traita huit mille quatre cent quarante-cinq dossiers. Pour toute la population des Cantons de l'Est — soixante-quatre mille habitants — seize mille quatre cent quatre-vingts dossiers furent ouverts. On peut dire que pratiquement chaque famille fut touchée d'une manière ou d'une autre ([108]).

P.-H. Spaak, alors ministre des Affaires étrangères, déclara, selon Le Soir du 17 novembre 1944, que la Belgique réclamerait la restitution de ses frontières de 1940. 

Eupen-Malmédy était un problème interne, à régler en dehors de tout contexte international. Vraisemblablement faudrait-il déchoir de leur nationalité quelques indésirables. La législation le permettait et elle serait appliquée. Le Bruxelles-Malmédy Zeitung se préoccupa intensément de l'épuration dans les Cantons de l'Est. 
Son rédacteur en chef, Charly Duchesne, avait été préfet de l'Athénée de Malmédy avant-guerre et, comme tel, avait acquis — bien plus que d'autres — une bonne compréhension des réalités confuses de la région. Il tenta, alors déjà, de dire la vérité, mais sa voix fut noyée dans le tumulte des autres. Dès 1946, après 12 numéros, le journal cessa de paraître ([109]).

Des velléités expansionnistes s'étaient manifestées. Les frontières du pays auraient été portées encore plus à l'Est de sorte que les lignes de chemin de fer de Saint-Vith à Aix-la-Chapelle et de Saint-Vith à Gérolstein ne parcourent que le sol belge ([110]) . 

Des intérêts économiques s'y ajoutaient. Les Kreisen Monjoie et Schleiden, ainsi que la vieille ville impériale d'Aix auraient été intégrés à la Belgique. Certains rêvaient ainsi d'une « Grande Belgique » comme à l'époque romaine la Province Belge s'étendait jusqu'à la Moselle. Mais la Belgique ne put assouvir ses rêves annexionnistes.

Par contre, dans le pays, des personnalités et des communes prirent des initiatives pour adoucir la misère des régions fortement endommagées. 
Ainsi la Ville de Bruxelles, par exemple, assuma le parrainage de la ville détruite de Saint-Vith. Il est malheureux que pas même un nom de rue ne rappelle ce geste d'amitié posé dans une période désespérée. Entretemps, les vagues soulevées par la haine se sont apaisées. La plupart des blessures se sont guéries. La majorité est aujourd'hui réhabilitée et certains le furent aussitôt. Mais il serait exagéré d'affirmer que tout est oublié. On a connu bien des souffrances et des misères dans les familles concernées. Et certains ont porté ce poids toute leur vie.

Les frontières imprègnent l'histoire du pays de Saint-Vith. J'ai abouti à la conviction que beaucoup de fautes ont été commises, des deux côtés de la barrière. Mais on ne s'en est pas contenté et elles ont été maintes fois répétées.




[1] Texte basé sur une communication faite le 3 octobre 1981 à l'Académie épiscopale d'Aix-la-Chapelle sous le titre : «Das Sankt Vither Land. Politischer Spiellball im deutsch-belgischen Eroberungsfeld ».
Je remercie particulièrement tous les témoins qui ont bien voulu me livrer leurs souvenirs.

[2] Heinz DOEPGEN, Die Abtretung des Gebietes von Eupen-Malmedy an Belgien im Jahre 1920, pp. 115 et suiv. ; également Kurt FAGNOUL, in «Zwischen Venn und Schneifel», 17e année, Cahier 3, p. 41.
[3] Kurt FAGNOUL, St. Vith im Schatten des Endsiegs. Augenzeugenberichten vom grossen Treck durch die Eifel 1944-1945, Eupen, 1980, p. 9.
[4] Heidi CHRISTMANN, Presse und Gesellschaftliche Kommunikation in Eupen-Mal­médy zwischen den beiden Weltkriegen, Munich, 1974, pp. 362 et suiv.
[5] Heinz DOEPGEN, op. cit., p. 29.
[6] Maurice DES OMBIAUX, Les revendications territoriales de la Belgique, Paris, 1916. Norbert WALLEZ, La Belgique de demain et sa politique, Bruxelles-Paris, 1916. A. ZWENDELAAR, La Belgique jusqu'au Rhin, Bruxelles, 1919,
[7] Par décret du 3 octobre 1914, les Allemands avaient imposé le Mark comme moyen légal de paiement en Belgique occupée. Il valait alors 1,25 FB. A la fin de la guerre, le gouvernement belge détenait ainsi 6,1 billions de Marks. Du fait de l'inflation en Allemagne, une grande quantité supplémentaire de Marks avait été introduite frau-duleusement en Belgique. Cf. Manfred J. ENSSLE, Stresemann's territorial revisio-nism, pp. 33 et suiv.
[8] Manfred J. ENSSLE, Stresemann's territorial revisionism, pp. 31-32.
[9] Grenz-Echo, No 212, 28 septembre 1977.
[10] Echo aus Eupen-Malmedy-Monschau.
[11]Martin SCHAERER, Deutsche Annexionspolitik im Westen. Die Wiedereingliederung Eupen-Malmedy im Zweiten Weltkrieg, Bern-Frankfurt-a.-M., 1975, p. 32.
[12] En 1939, le Heimattreue Front comptait 1.737 membres. Eupener Nachrichten, no 53, 6 mars 1939, p. 2.
[13] Klaus PABST, Eupen-Malmedy in der belgischen Regierungs- und Parteienpolitik 1914-1940, Aix-la-Chapelle, 1964, p. 391.
[14] Ibidem, p. 393.
[15] Henriette BECKER, Der belgische Kreis Malmedy angesichts des Einmarsches deutscher Truppen in das entmilitarisierte Rheinland. (Travail de fin d'études à l'Ecole supérieure du Rhin, Neuss.) Arzfeld, 1977
[16] Témoignage oral de Josef Schoffers, Born (Amel).
[17] Cfr. H. BECKER, op. cit.
[18] Ibidem.
[19] EDELMAN-DISCH, Volkwerden der Deutscben
[20] Kurt PISKATY, Oesterreichische Provinz, in Steyler Missionschronik 1975. (Sonder-band : Steyl 1875-1975).
[21] Chronique paroissiale Iveldingen-Montenau.
[22] EDELMAN-DISCH, op. cit.
[23] Témoignage oral de Ludwig Dahmen, Bleialf (B.R.D.).
[24] Témoignage oral de Nikolaus Schenk, Hüllscheid (Bülllingen).
[25] Témoignage oral de Josef Heinskyll, Hüllscheid (Büllingen).
[26] Témoignage oral de Nikolaus Schenk, Hüllscheid (Bülllingen).
[27] Témoignage oral de Nikolaus Schenk, Hüllscheid (Bülllingen).
[28] Témoignage oral de Heinrich Maus, Krewinkel (Biillingen).
[29] Adolph HITLER, Mein Kampf, Munich, 1933, p. 753.
[30] Résultats des élections législatives de 1939 :
Votes valables
P.C
Socialistes
Libéraux
Catholiques
Rex
Pro-Allemands
Canton de St-Vith
4.636
0,22%
3,02%
0,56%
42,01%
9,47%
44,72%
Canton d’Eupen
6.616
1,62
4,01
3,37
38,18
4,17
48,65
Canton de Malmédy
5.675
1,13
5,07
6,84
36,23
7,72
43,01
Total
16.927
1,07
4,09
3,76
38,59
6,81
45,68
Desmet, Evalenko,Fraeys, Atlas des élections belges 1919-1954, Bruxelles , 1958.
[31] Témoignage Schoffers
[32] Témoignage Heinskyll
[33] Témoignage Schoffers
[34] Zur Besondere Verwendung, Pour missions spéciales
[35] Témoignage oral de Peter Hardy, Weywertz (Bütgenbach).
[36] Témoignage Heinskyll
[37] Témoignage Hardy
[38] Témoignage oral de Jakob Peterges, Andler (St. Vith)
[39] Témoignage oral de Jakob Peterges, Andler (St. Vith)
[40] Kurt FAGNOUL, St. Vith im Schatten des Endsiegs, p. 57
[41] Témoignage oral de Paul Drösch, Baranzy (Musson)
[42] Témoignage oral de Jakob Trauden, Pronsfeld (R.F.A.)
[43] Témoignage Drösch
[44] Témoignage Hardy
[45] Témoignage Aloys Schoffers
[46] Témoignage Peter Hardy
[47] Témoignage Peter Hardy
[48] Idem
[49] Idem
[50] Témoignage Schoffers
[51] Témoignage Schoffers
[52] Idem
[53] Martin SCHAERER, op. cit., pp. 45 et suiv.
[54] Témoignage oral de Erna Hanf-Peren, Saint-Vith
[55] Témoignage Drösch
[56] Témoignage oral de Vitus Margraff, Rodt (Saint-Vith)
[57] Témoignage oral d'une infirmière auxiliaire désirant garder l'anonymat
[58] Témoignage Erna Hanf-Peren
[59] Témoignage oral de Josef von der Lahr, Saint-Vith
[60] Kurt FAGNOUL, Kriegsschicksale 1944-1945. Beitrâge zur Chronik der ArdennenOffensive im Lande zwischen Venn und Schneifel, Saint-Vith, Geschichtsverein Zwischen Venn und Schneifel, 1969, p. 6.
[61] Témoignage Paul Drösch
[62] Témoignage oral de Franz Pip-Margraff, Saint-Vith
[63] Kurt FAGNOUL, St. Vith im Schatten des Endsiegs, p. 54
[64] Cfr. Die Rheinprovinz, Amtliches Organ des Landeshauptmanns, Düsseldorf, 16e année, ne 6, juin 1940
[65] Journal de Doutrelepont, bourgmestre de Amel, 1814-1817
[66] Martin SCHAERER, op. cit., p. 189
[67] B. KARTHEUSER, J. DRIES, H. JENNIGES, Eine Schule in ihrer Zeit, SaintVith, Ed. Aktvell, 1981, pp. 78 et suiv.
[68] Kurt FAGNOUL, Das Kloster St. Raphael und seine Pfarrei, in Zwischen Venn und Schneifel, 1965
[69] Témoignage Heinrich Maus
[70] Témoignage Josef Heinskyll
[71] Kurt FAGNOUL, St. Vith im Schatten des Endsiegs, p. 51
[72] Ibidem, p. 57
[73] Ibidem, p. 74
[74] Cfr. Paul EMUNDS, Mit 15 an die Kanonen. Eine Fallstudie über das Schicksal der als « Luitwaffenhel f er » eingesetzten Oberschüler in der Sperrfeuerbatterien (Flak Abt. 514) rund um Aachen wâhrend der anglo-amerikanischen Luftoffensiven der Jahre 1943-1944, Aix-la-Chapelle, 1975
[75] Kurt FAGNOUL, St. Vith im Schatten des Endsiegs, p. 15
[76] Idem, p. 17
[77] Jusqu'à sa destruction en 1944, Saint-Vith comportait encore, insérées dans la ville, des entreprises agricoles
[78] Kurt FAGNOUL, St. Vith im Schatten des Endsiegs
[79] Idem, p. 23
[80] Idem, p. 33
[81] Idem, p. 37
[82] Idem, p. 44
[83] Idem, p. 57
[84] Idem, p. 58 et suiv
[85] Idem, p. 51 et suiv
[86] Idem, p. 75
[87] Idem, p. 80
[88] Idem, p. 87
[89] Idem, p. 83 et suiv
[90] Freiherr VON DER HEYDTE, in Kriegsschicksale 1944-45. Beiträge zur Chronik der Ardennen-Offensive im Lande zwischen Venn und Schneifel, p. 189 et suiv
[91] Le 20 décembre 1944, Radio Calais (Sender Calais) annonçait « au cours de la reconquête du territoire au sud de Malmédy, près du carrefour de Thirimont, les cadavres d'environ soixante soldats américains ont été découverts. D'après leurs compagnons rescapés, ils ont été abattus par les Allemands alors qu'ils s'étaient rendus ou s'apprêtaient à le faire ». Cette nouvelle fut répercutée par la presse et très vite le nombre des victimes crût jusqu'à 142, d'autres parlèrent de près de 400 morts. Un civil du lieu déposa sous serment qu'il n'y avait eu que 13 Américains tués. Mais le mémorial de Baugnez porte, gravés dans la pierre, 84 noms
[92] Henri BERNARD, in Kriegsschicksale 1944-45. Beiträge zur Chronik der ArdennenOffensive im Lande zwischen Venn und Schneifel, pp. 11 et suiv
[93] Kurt FAGNOUL, St. Vith im Schatten des Endsiegs, p. 92
[94] Idem, p. 103
[95] Kurt FAGNOUL, Geschichtliche Funkbilder (Emission BRF Eupen, décembre 1980). Le PC de Manteuffel se trouvait dans la maison Backes à Eiterbach près de Saint Vith. C'est là que passa également un court moment le Genaralfeldmarschall Model peu avant la prise de Saint Vith. Le propriétaire des lieux put entendre un entretien téléphonique avec l'O.K.H. Pour la prise de la ville on avait obtenu la promesse du soutien de la Luftwaffe. Les officiers s'étaient même rassemblés devant la porte pour admirer le passage des chasseurs-bombardiers allemands. A leur grand désappointement, pas le moindre avion ne pointa à l'horizon ! Témoignage oral du curé Albert Backes, Amel
[96] Le 17 octobre 1942 les Anglais avaient déjà bombardé les usines Schneider du Creusot. Cfr HASTINGS, Bomber Command, London, Michel Joseph Ltd, 1979, p. 183
[97] Cfr HASTINGS, op. cit., p. 289
[98] Voir Sir Charles WEBSTER et Noble FRANKLAND, The Strategic Air Offensive against Germany 1939-1945, Vol. IV, Annexes and Appendices, London, HMSO, 1961, pp. 433 et 436
[99] Les deux bombardements de Malmédy sont considérés comme des fautes stratégiques. Voir à ce propos Lucien CAILLOUX, Ardennes 1944. Pearl Harbour en Europe, deuxième partie, Liège, L. Cailloux, 1970, pp. 94-97 et Charles WHITING, Massacre at Malmédy, London, Leo Cooper, 1971, pp. 166-167
[100] Idem, St. Vith im Schatten des Endsiegs, pp. 101 et suiv
[101] Idem, p. 121
[102] Idem, pp. 113 et suiv
[103] Au cours d'une interpellation relative à la politique du gouvernement en différentes matières dans les Cantons de l'Est, le sénateur Olyff demanda, entre autres, ce qu'il en était de l'épuration des ecclésiastiques nommés par les Allemands et exerçant encore leur ministère. « M. Van Glabbeke, ministre de l'Intérieur. — On ne tolère pas ces situations. Je tiens à dire au Sénat qu'il faut absolument qu'il y ait de bons bergers dans les paroisses des Cantons de l'Est. J'ai été très sensible à la découverte de cette situation lors de mon premier voyage là-bas. J'ai en effet constaté qu'un grand nombre de curés nommés sous le régime nazi refusaient même de porter larobe de nos bons curés de campagne, lui préférant la redingote à la mode allemande Je suis intervenu immédiatement auprès de mon collègue de la Justice pour qu'il intervînt là où il fallait le faire. Je suis intervenu moi-même, par l'entremise du gouverneur de Liège, auprès des hautes autorités ecclésiastiques, qui ont témoigné du désir d'aider immédiatement le gouvernement en modifiant cet état de choses et de faire disparaître des Cantons de l'Est les mauvais bergers qui s'y trouvent encore dans certaines paroisses.M. Olyff. — Je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre J'espère que la dernière épuration sera faite rapidement. », A.P.S., 17 mai 1945
[104] Kurt FAGNOUL, St. Vith im Schatten des Endsiegs, p. 133
[105] Idem, p. 135
[106] Les crimes de guerre commis pendant la contre-offensive von Runstedt dans les Ardennes. Décembre 1944-janvier 1945 (Ministère de la Justice. Commission des crimes de guerre), p. 46.
[107] Kurt FAGNOUL, St. Vith in: Schatten des Endsiegs, p. 136
[108] La répartition géographique se présente ainsi : Flandre 0,74 p.c.; Wallonie 0,52 p.c.; Bruxelles 0,56 p.c.; Brabant 0,52 p.c.; Cantons de l'Est 2,41 p.c. (Cfr. Henri HOEN, Les Cantons de l'Est 1945-1975, Ministère de l'Intérieur, Commissariat d'Arrondissement Malmédy, 1975)
[109] Bruxelles-Malmédy. Organe Indépendant de l'Union Nationale entre la nouvelle et l'ancienne Belgique, janvier-février 1945, n° 1
[110] Ibidem, no 7, 1er juillet 1945. — Cfr. Kurt MERTENS, Monschau : Die Gebietsansprüche Belgiens, in Das Monschauer Land-Jahrbuch 1974, pp. 82-98